Tatouage permanent du bras suite à une perfusion de Ferinject chez une femme enceinte : de l'importance d'une surveillance stricte

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Tatouage permanent du bras suite à une perfusion de Ferinject chez une femme enceinte : de l'importance d'une surveillance stricte

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  • Femme enceinte allongée sous perfusion - La Prévention Médicale

L’information bénéfices-risques est due au patient. Elle lui permet en particulier d’être coacteur de ses soins et ainsi de participer activement à l’identification précoce des complications ou des effets indésirables des traitements.

Auteur : Candice LHAUTE – Sage-femme / MAJ : 13/10/2023

Contexte

Le Ferinject® est indiqué dans le traitement de la carence martiale lorsque les préparations orales de fer ne sont pas efficaces ou ne peuvent être utilisées.

Chez la femme enceinte, l'anémie est importante à traiter car elle peut avoir des conséquences sur sa santé :

  • asthénie,
  • stress,
  • dépression,
  • anxiété,
  • tachycardie,
  • plus grande susceptibilité aux infections.

Au 3e trimestre de la grossesse, le bénéfice à réaliser une injection de Ferinject® est supérieur aux risques pour la mère et le fœtus : les effets indésirables sont connus, encore faut-il que la surveillance soit adaptée.

Présentation de la problématique

Mme P. est une patiente de 34 ans d'origine maghrébine enceinte de son premier enfant.

Dans ses antécédents, on note en 2010 une dysplasie du col utérin traité par laser et un terrain allergique aux pollens et poils d'animaux traité par Cétirizine 5 mg 2 fois par semaine.

La grossesse est de déroulement normal. Au 6mois la patiente est supplémentée par Tardyferon® B9 pour une anémie modérée à 10,5 g/dl d'hémoglobine et une ferritine à 5 μg/L. 

A 36 SA, la patiente est reçue en consultation d'anesthésie comme prévu par le protocole de la maternité : le bilan sanguin réalisé quelques jours auparavant montre une aggravation de l'anémie. Le taux d'hémoglobine est à 9,9 g/dl et la ferritine à 12 μg/L. Elle avoue une mauvaise observance du fer du fait d'une constipation liée à la prise du traitement : l'anesthésiste prescrit alors une injection d'1 g de Ferinject® dès que possible. Pour ne pas désorganiser l'activité du jour, la patiente est reconvoquée le lendemain à la maternité.

Le jour suivant, elle est accueillie dans le service pour la réalisation de son injection : l'IDE pose la voie veineuse au pli du coude gauche et note la surveillance de la patiente sur la feuille dédiée. Le calibre du cathéter utilisé n'est pas renseigné, ni la difficulté de pose.

La perfusion est lancée selon le protocole :

  • rinçage initial par 100 ml de NaCl,
  • puis perfusion sur 30 minutes de 1 g de fer dans 100 ml de NaCl à 0,9 %,
  • puis de nouveau rinçage par 100 ml de NaCl. 

La vérification de la perméabilité de la voie veineuse n'est pas notée. Durant la perfusion, la patiente signale une douleur modérée au site d'injection ; il n'est pas noté d'érythème ou d’œdème sur la feuille de surveillance. Sa peau est brun clair.

Aucun autre médicament n'est administré simultanément sur la même ligne de perfusion.

La patiente rentre à son domicile 2 heures après son arrivée.

4 jours plus tard, elle se présente aux urgences obstétricales pour une marque sur le bras et un ganglion dans l'aisselle gauche. Un avis est demandé à l'anesthésiste de garde par la sage-femme des urgences : il conclut à un hématome du bras et un ganglion d'origine indéterminée. Il prescrit un bilan sanguin NFS CRP à faire immédiatement et la patiente est reconvoquée 3 jours plus tard : elle ne se présentera pas au rendez-vous.

Une semaine plus tard, la patiente revient à la maternité pour son rendez-vous de suivi de grossesse : le consultant prend alors connaissance des résultats du bilan et note uniquement le taux de plaquettes. La CRP est en fait à 117 mg/L, aucune mention n’est faite d'une quelconque marque cutanée au bras. 

La patiente accouche par voie basse 2 semaines plus tard à 39 SA + 4 j d'un enfant en bonne santé et eutrophe. Le séjour en maternité dure 3 jours, les suites de couches sont physiologiques ; aucune trace dans le dossier médical de l'existence d'une marque au niveau du bras.

3 mois plus tard, la patiente revient spontanément à la maternité et demande à voir un médecin pour montrer une tache pigmentée brune qui occupe toute la face antérieure du bras et de l'avant-bras (32*8 cm) et qui lui cause un désagrément esthétique. Le médecin lui annonce alors une pigmentation définitive de sa peau liée à un dépôt de fer dans le tissu cutané : aucune information n'avait été délivrée sur le risque de tatouage définitif lors de l'extravasation de produits contenant du fer.

La patiente ne portera pas plainte contre l'hôpital. Les équipes signaleront l’événement indésirable. De même, une déclaration de pharmacovigilance sera faite.

Conséquence

Un tatouage définitif du bras et de l'avant-bras, causant un préjudice esthétique à une patiente jeune.

Méthodologie et analyse

L'équipe médicale a souhaité une analyse de cet EI dans le cadre d'une démarche de gestion des risques.

Une analyse de risque à postériori est donc réalisée.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge.

La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate 

Extravasation de produits contenant du fer du fait d'une administration intraveineuse non stricte.

Causes profondes

 

Barrière qui a détecté l'incident

Diagnostic par l'anesthésiste d'un tatouage du bras gauche, à posteriori.

Barrière qui n'a pas fonctionné et a permis l'incident

  • Prévention : la patiente n'a pas été informée en amont de la possibilité de tatouage si la perfusion n'était pas réalisée en intraveineuse stricte. Elle aurait alors pu insister sur la douleur au moment de l'injection et faire le lien avec la tache apparue quelques jours plus tard.
  • Prévention : la feuille de surveillance de l'injection est incomplète ; la perméabilité n'est pas notée (vérifiée ?).
  • Prévention : l'IDE ne demande pas explicitement à la patiente de lui signaler toute douleur ou rougeur au site d'injection, elle ne l'informe pas du risque de tatouage si extravasation.
  • Prévention : l'IDE n'arrête pas la perfusion lorsque la patiente lui signale une douleur modérée au point d'injection.

Barrières qui ont permis de récupérer l'incident

Il n'y a pas de récupération puisque le tatouage est, en règle générale, définitif.

Pistes de réflexion et d'amélioration

  • Création d'une fiche "info patient" expliquant l'indication, les modalités et les critères de surveillance d'une perfusion de Ferinject®, ainsi que le risque de tatouage, à remettre par l'anesthésiste à la patiente le jour de la prescription.
  • Formation des personnels médicaux (sages-femmes) et paramédicaux étant à même de réaliser ce type de perfusion :
    - site de perfusion,
    - cathéter préférentiel,
    - remplissage de la feuille de surveillance,
    - signes d'alerte.
  • Réalisation d'une "trousse anaphylaxie" en cas de choc lié à l'injection (effet indésirable grave connu).

Conclusion

L'injection de Ferinject® dans le cadre du traitement de l'anémie par carence martiale chez la femme enceinte au 3ème trimestre est un acte de routine en maternité.

Cependant, être coutumier de cet acte ne dispense pas d'informer le patient des éventuels effets indésirables, de même que les points sur lesquels les vigilances doivent se porter ; ainsi, le préjudice esthétique subi par cette patiente aurait pu être évité (ou tout au moins limité) si la surveillance avait été accrue.

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